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Les canons d'Iroise








    Les rivages de la mer d'Iroise furent de tout temps l'objet de soins particuliers pour les défendre contre d'éventuels débarquements. On pense bien entendu à la Seconde Guerre mondiale qui a vu l'occupant construire une quantité de blockhaus abritant d'énormes canons. Le mur de l'Atlantique avait aussi pour objectif, dans notre région, de contrôler l'accès au port de Brest, haut-lieu stratégique avec sa base sous-marine allemande.
Mais bien avant cette époque nos rivages étaient déjà soigneusement défendus. Qu'en reste-t-il aujourd'hui ? Quelques redoutes du XIXe siècle et des traces de fortifications remontant à l'époque de Colbert. Quant aux canons, il n'en subsiste que des souvenirs car ils ont été démontés et réemployés ailleurs.
    Toutefois tous n'ont pas complètement disparu et le promeneur prendra plaisir à en retrouver, comme ci-dessous sous une forme assez inattendue.

    Voici donc un itinéraire qui vous emmènera depuis Lampaul-Ploudalmézeau jusqu'à Locmaria-Plouzané à la recherche de ces fantômes d'un autre temps.
Nous partirons du parking de l'église de Lampaul-Ploudalmézeau.


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-1- Les canons de pierre de Lampaul-Ploudalmézeau





La belle église de Lampaul-Ploudalmézeau interpelle le visiteur curieux qui détaille les ornements de son clocher ( visite de l'église ). Sous chacun des angles de la grande galerie, on voit apparaître une sorte de gargouille en pierre, de forme tubulaire, jaillissant au-dessus du vide. Mais en réalité, ce ne sont pas des gargouilles destinées à évacuer l'eau de pluie : elles ne possèdent aucun orifice. En fait ce sont des sculptures représentant des canons. Et des canons, même en pierre, pour décorer un lieu de culte, cela paraît pour le moins étonnant.
On sait qu'au Moyen Age, bien des clochers ont été fortifiés et possèdaient créneaux et archères. De leur sommet, on pouvait voir venir le danger. En l'absence de château fort, la population pouvait s'y réfugier en comptant sur la protection divine. Mais l'église de Lampaul-Ploudalmézeau n'est pas du tout médiévale. Elle date du XVIIe siècle.
Cependant elle a pris la place d'une église plus ancienne, bien médiévale celle-là. Il est donc probable que ces ornements en proviennent. Le plan de l'architecte ne les faisait d'ailleurs pas figurer et les canons de pierre lui ont été sans doute imposés.
On verra plus loin que ce cas n'est pas isolé.

Allons voir maintenant le clocher de Ploudalmézeau, situé seulement à 3 km.


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-2- Une église super défendue



C'est en effet ici une batterie de huit canons de granite qui orne les angles des deux galeries.



Et l'on s'aperçoit que ces éléments n'ont pas été rapportés, mais s'incorporent parfaitement à la construction. L'église date de 1857 mais son clocher est plus ancien puisqu'il a été entièrement reconstruit de 1773 à 1776. L'église précédente datait de 1504. Il est donc très probable que les pierres de l'ancien clocher ont été réutilisées, et les canons aussi.

Dirigeons-nous maintenant vers Lanildut.


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-3- La réplique de Lanildut

GPS du stationnement : 48°28'16.3 N   4°45'36.3 W




Accès : Sortir de Lanildut en direction de Porspoder et prendre la première route à gauche, vers le port. Stationner sur le grand terre-plein tout au bout de la route et suivre le sentier côtier. La batterie est à 200m.

Il s'agit là d'une réplique récente d'un canon de l'époque de Louis XV. Car après avoir remis au jour les restes des constructions militaires voisines ainsi que de la plate-forme de la batterie des gardes-côte, il fallait bien installer un canon afin que le public comprenne la signification de ces aménagements. L'affût a été confectionné par les élèves d'un collège de Brest, le canon lui-même a été coulé en fonderie dans un moule conçu à cet effet après une longue recherche documentaire.




Avant de poursuivre cet itinéraire, vous trouverez davantage de détails sur la page de notre site consacrée à la batterie côtière de Lanildut ( explications ici ).

Mais revenons maintenant dans le bourg de Lanildut en direction du sud. Après les commerces, une réplique au 1/7e de l'obélisque de la Concorde a été érigée sur un terre-plein devant le port ( voici d'où provient le socle de cet obélisque ). Stationnons là.


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-4- Le canon de la maison de l'obélisque à Lanildut



Cette fois-ci, c'est à l'angle d'une maison particulière donnant sur le port que l'on aperçoit un canon de pierre. Il est possible de s'en approcher et de le voir depuis la grève.



A coup sûr, cette maison a traversé les siècles. Et son canon de pierre, très érodé malgré tout, se dresse toujours fièrement vers le fond du port qui était situé autrefois derrière la route et qui a été comblé.
Les maisons particulières ornées d'un tel canon, comme on en voit encore sur quelques églises, sont rares. Mais ce qui est aujourd'hui une maison particulière renfermait peut-être autrefois une petite garnison défensive. S'agirait-il d'une sorte d'enseigne, ou tout simplement d'un leurre ?

Nous allons en découvrir d'autres.


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-5- Le canon de Kermarc'har en Plouarzel

GPS: 48°26'08.5 N   4°45'44.1 W




Accès : Kermarc'har est situé dans la campagne, entre le bourg de Plouarzel et la côte. Sortir de Plouarzel en direction du Conquet et au rond-point continuer tout droit vers Trézien. 1,5 km après les éoliennes, tourner à droite vers l'église de Trézien et traverser le bourg ( visite de l'église ). Au carrefour, prendre à droite, quitter Trézien et continuer tout droit. Traverser une route et 500 m plus loin tourner à gauche dans l'impasse et stationner devant le manoir de Kermarc'har. Attention, le lieu est privé, ne pas pénétrer dans le domaine.



Il faut s'approcher sous l'arbre situé près de l'entrée et lever les yeux pour découvrir cette sculpture située à l'angle de la toiture. C'est une bouche de canon en granite, une crossette comme à Lanildut. Le tube n'a pas une section circulaire, mais octogonale. On voit bien ici que sa fonction ornementale l'emporte sur une véritable ressemblance.
Pour bien comprendre la raison de son implantation à l'entrée de ce manoir, il faut savoir que la demeure est celle de la famille d'Hervé de Portzmoguer ( 1475-1512 ), dit Primauguet, le célèbre capitaine de La Cordelière, la nef royale d'Anne de Bretagne. Le marin est sans doute né ici. En 1512, au cours d'un violent combat naval devant la pointe St-Mathieu, et alors que sa nef était accrochée au navire amiral anglais, il décida, dit-on, de faire sauter les deux navires plutôt que de se rendre. L'explosion fit 2000 victimes et mit fin à la bataille navale.

Placé à cet endroit, le canon de granite a peu de chances d'être un leurre. Il rappelle plutôt au visiteur que le domaine est celui d'une famille de marins dont l'un s'est sacrifié au combat.

Après tout, à Lanildut, rien ne prouve que la maison de l'obélisque n'ait pas aussi été celle d'un marin héroïque.

Dirigeons-nous maintenant vers Ploumoguer.


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-6- L'église de Ploumoguer





Le nom de Ploumoguer revêt à première vue une certaine analogie avec celui de Portzmoguer. Mais elle est trompeuse car si l'on peut traduire Portzmoguer par le manoir entouré de murs, et on le comprend bien en voyant les gros moëllons de Kermarc'har, Ploumoguer se traduit par la paroisse aux murs, ce qui se rapporterait à des ruines gallo-romaines.
Son église St-Pierre comporte un clocher datant de 1753. Il possède deux galeries, mais seule la galerie inférieure est dotée de quatre canons de pierre. Très frustes et érodés, ces ornements pourraient provenir du clocher de l'ancienne église.

Poursuivons notre route vers Le Conquet.


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-7- Le canon du Conquet

GPS : 48°21'41.8 N   4°46'19.2 W




Accès : Stationner dans le centre du Conquet et descendre vers le port par la rue Lombard qui commence devant la boulangerie-pâtisserie « Vents sucrés ». Au bas de cette rue, suivre à droite le quai du Drellac'h jusqu'au bout.
- Si la mer est basse, descendre sur la cale et longer la grève. Derrière la maison qui domine le rivage, un canon se trouve placé en haut d'une cale privée. Il est très visible depuis la grève. Attention: accès interdit sur la cale.
- Si le niveau de la mer empêche de descendre sur la grève, suivre le sentier côtier au-dessus de la cale. Après avoir dépassé la maison, on aperçoit à travers la haie le canon.




  Il s'agit d'un canon de marine court de 6 livres que l'ancien propriétaire, lors de son achat dans les années 1970, a découvert dans la cave de la maison. Il l'a installé avec soin à cet emplacement, en l'accompagnant d'un affût et de boulets factices. Ces canons sont assez fréquemment retrouvés dans les épaves de navires de guerre du XVIIIe. Ils furent progressivement remplacés au XIXe par des modèles beaucoup plus performants. Dès lors, devenus hors d'usage, ces lourds canons de bronze étaient vendus au poids afin de servir de lest aux voiliers de cabotage comme les gabarres. Le canon du Drellac'h ne présentant aucune trace de corrosion, il est probable qu'il n'a pas séjourné sous l'eau et qu'il a servi de lest.


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-8- Les canons de granite du quai du Drellac'h

  Revenons sur nos pas, quai du Drellac'h, et arrêtons-nous devant cette belle maison dont l'imposant escalier extérieur permet d'accéder à l'étage.






Aux deux extrémités de la toiture, on aperçoit encore des canons de pierre, en saillie au-dessus de la rue. Or cette maison très ancienne n'a rien d'une demeure fortifiée.




    Comme à Kermarc'har, ce sont des crossettes décoratives de section octogonale ornant sans doute le domicile d'un capitaine de navire de guerre qui a voulu rappeler ainsi son activité et ses exploits.




  Mais continuons à revenir sur nos pas et remontons la rue Lombard. Sur le côté droit se dresse l'imposante maison des Anglais ( le petit château du Conquet ).



    C'est une maison fortifiée. Elle pourrait avoir été reconstruite à la suite de la destruction du Conquet au XVIe siècle par les Anglais. Et la crossette en forme de canon qui domine un angle de l'édifice à une hauteur de douze mètres ne peut pas avoir un simple but décoratif. Trop éloignée du niveau du sol et dirigée vers le port, seule sa silhouette se découpe sur le ciel.



    Le « petit château du Conquet », comme on nomme parfois cette maison forte, ne cache pas son caractère défensif. On pense que ce canon de granite pourrait être un leurre1. Un élément architectural de dissuasion, en quelque sorte, pour qui ne disposerait pas encore d'une lunette2 permettant de le détailler.

    Mais ce canon de granite revêt peut-être aussi une fonction d'avertissement : « Attention, ici l'on possède de quoi se défendre ! »

Dirigeons-nous maintenant vers l'église du Conquet.


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-9- Deux sur quatre

Sous la première galerie du clocher, on remarque bien quatre sculptures en saillie. Ce ne sont toujours pas des gargouilles. Celles situées aux angles de la façade représentent des animaux. Seules celles de la face opposée figurent un canon.









    De quand datent ces crossettes ? Ainsi qu'on peut le lire sur notre page consacrée à cette église, tout l'édifice a été déménagé pour être transféré, pierre à pierre, du hameau de Lochrist situé à 2 km, jusqu'ici, au centre de la commune ( l'église Sainte-Croix ). Ce travail de titan s'est passé de 1856 à 1858. Les sculptures étant très érodées, il est vraisemblable que les quatre crossettes étaient déjà présentes sur l'ancien clocher. Et celui-ci pourrait bien remonter au XVIe siècle, c'est-à-dire à la suite de la destruction et du pillage du Conquet par les Anglais en 1558.

Prenons à présent la route côtière vers la pointe Saint-Mathieu. Nous allons y découvrir de véritables canons.

-10- Les vénérables canons de la Pointe Saint-Mathieu

GPS : 48°19'50.0 N   4°46'24.8 W


Accès : Stationner dans le grand parking et se diriger à pied vers le cénotaphe à la mémoire des marins péris en mer, que le chemin contourne.

Deux vieux canons rouillés font face à l'océan. Mais il faut s'en approcher car ils ont des choses à nous dire.





    Sur le chassis de l'un d'eux, on lit encore « Schneider Le Creusot 1877 ». Sur l'un des tubes « Tarbes AC 1882 ».
Tiens, ils ne datent pas du tout de la Seconde Guerre mondiale... ni de la Première d'ailleurs...
1877 , 1882 ! Presque un siècle et demi ! Ils ont été construits après la guerre de 1870 !
On comprend mieux pourquoi l'acier a un peu rouillé, ici, à la pointe de l'Europe sous les embruns salés de l'océan.
Les spécialistes vous diront que ce sont des canons de 95 mm, modèle Lahitolle 1875 et 1888, les premiers canons en acier fabriqués en France. Dotés d'une culasse à vis, mais sans frein de recul, ils étaient peu adaptés à l'artillerie de campagne. Le plus lourd, avec son masque blindé, pèse près de 3 tonnes. Il valait mieux les fixer au sol. Entre la guerre de 1870 et celle de 1914, on apprenait à l'école que l'Allemagne était le grand ennemi, et qu'il fallait perpétuellement être sur ses gardes et surtout protéger la rade de Brest de l'incursion d'éventuels sous-marins... Ces canons étaient installés dans les alvéoles bétonnées de batteries annexes aux batteries de côte de gros calibre.
A partir de 1917, la défense des côtes est passée à la Marine qui installera ces pièces anciennes pour assurer la défense des phares, sémaphores et petits ports car ces canons puissants pouvaient encore dissuader un sous-marin d'attaquer ces objectifs.
A les voir aujourd'hui dans un si piteux état, on ne dirait vraiment pas qu'ils étaient capables d'envoyer un obus de 12 kg à la vitesse de 400 m/s !





    Après une pensée émue pour les vénérables artilleurs qui servaient ces rares témoins de notre patrimoine militaire côtier, reprenons la route en direction de Plougonvelin pour une autre étape.

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-11- Les canons du Musée Mémoires 39-45

GPS: 48°20'07.5 N   4°45'45.2 W





A gauche de la route de Plougonvelin, on ne manquera pas d'admirer deux canons de marine antiaériens datant des années 1930.

 
Ces canons français, l'un de 75 et l'autre de 90mm sont eux aussi
des rescapés du dépôt de Gâvres, dans le Morbihan.
Ils ont tous deux été réutilisés par l'armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le plus petit fut même installé près d'ici, aux Rospects, sur la batterie de DCA Erika.


Le Musée Mémoires 39-45 fut ouvert en 2017 dans l'ancien poste de commandement de tir de Kéromnès. Il est l'œuvre de deux frères passionnés d'histoire de la dernière guerre, qui ont abandonné leur métier pour se lancer dans la présentation au public de leur importante collection. On en trouvera un aperçu sur notre page consacrée à ce musée dont la terrasse supérieure offre au visiteur un extraordinaire panorama sur la mer d'Iroise ( visite du musée ). Pendant l'Occupation, ce poste de commandement dirigeait les tirs du puissant ensemble défensif allemand de Kéringar qui disposait, entre autres, de trois énormes canons de 280 mm qui pouvaient tirer à 30 km des obus de 240 kg ! Ces monstres terrifiants ont été démontés et leurs gigantesques abris de béton sont vides.
En quittant cette terrasse, on peut voir de près un canon antiaérien tractable de 40 mm Bofors, fabriqué au Canada sous licence suédoise, et utilisé par les Alliés à la Libération.




Pour terminer ce périple, regagnons la route de Brest et dans la traversée de Kerfily, tournons à gauche vers Locmaria-Plouzané où nous pourrons stationner au pied du clocher.

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-12- Les canons de pierre de Locmaria-Plouzané

GPS du stationnement : 48°22'28.8 N   4°38'35.8 W











    De nouveau le clocher d'une église montre avec ces canons de pierre son caractère maritime et défensif. L'église Notre-Dame, construite en 1779, a remplacé un édifice plus ancien qui devait déjà présenter ces ornementations. De section circulaire, ces 4 canons sont placés comme de véritables gargouilles, à chaque angle, au-dessous de la galerie supérieure.


    Ainsi s'achève notre périple qui montre combien le Pays d'Iroise tient à conserver le souvenir des combats jalonnant toute son histoire. Découvrir ce patrimoine ancien, c'est prendre conscience de l'importance que revêt la frontière maritime bretonne pour tout notre pays. C'est aussi imaginer les angoisses, les frayeurs et l'héroïsme d'une population côtière en si fréquente insécurité qu'elle a tenu à les graver comme message dans la pierre.
Et, bien sûr, c'est à nous que ce message est destiné...

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-1- Voir sur internet l'avis de Michel Le Goffic, archéologue du Finistère, sur les canons de pierre.

  -2- Les premières lunettes datent de la fin du XVIe siècle. Galilée les perfectionna en 1609. Mais fournissant une image renversée, elles ne furent utilisées qu'en astronomie. Les lunettes d'approche, terrestres ou maritimes, nécessitant un redresseur d'image, sont donc postérieures à 1609.



Merci au Cdt Roger Coguiec, à l'association Brest-44 et à M. Patrick Jaubert pour leur aide et la précision de leurs informations.

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EN SAVOIR PLUS


Le Musée "Mémoires 39-45" de Plougonvelin

    Au sujet de la batterie de Lanildut, on trouvera sur internet une documentation plus détaillée écrite par Jean-Yves Besselièvre et mise en ligne par le Cercle d'Histoire Locale de Lanildut :

La batterie de l'Aber
La restauration de la batterie de l'Aber Ildut
La batterie de l'Aber Ildut ( XVIIIe-XIXe)
Le canon de la batterie de l'Aber

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