Lanildut: Présentation du lavoir du Vern.
Chaque lavoir fait ainsi l'objet, sur place, d'un tableau sur chevalet.
Le lavoir est un élément du patrimoine très commun en Pays d'Iroise. Si commun, même, que le passant n'y jette habituellement qu'un coup d'œil rapide. Chaque commune en possède plusieurs et à première vue ils se ressemblent tous. Du reste certains d'entre eux, depuis leur abandon, demeurent enfouis sous les broussailles. Le visiteur est attiré par une chapelle ou un manoir, rarement par un lavoir, même si celui-ci a été réhabilité par les employés communaux ou par une équipe de bénévoles.
Resterait-il dans notre inconscient cette idée que laver le linge à la main serait une action dégradante ? Aurions-nous établi une hiérarchie entre les éléments de notre patrimoine ? Pourtant ce bassin oublié fut particulièrement important dans la vie quotidienne de nos ancêtres.
La plupart des lavoirs datent du XIXe siècle car on s'est enfin rendu compte que le linge sale pouvait entraîner la diffusion de maladies comme le choléra, la rougeole ou la variole qui faisaient encore des ravages. Il existait des lavoirs privés, que les propriétaires mettaient parfois à la disposition des habitantes, mais peu de lavoirs publics. Par une loi du 3 février 1851, l'Etat décida de prendre à sa charge jusqu'à 30% des frais de construction des lavoirs communaux. Ce fut l'élément déclencheur d'une vague de constructions qui toucha toutes les communes de France.
Mais en dehors des impératifs d'hygiène et de salubrité, le lavoir avait l'avantage de réunir deux fonctions indispensables: l'une pratique, l'autre sociale.
Le lavage du linge autrefois
A l'ère de la machine à laver, la plupart des gens pensent que toute la lessive s'effectuait autrefois autour du lavoir. Cette idée n'est vraie qu'en partie seulement. Rappelons donc comment on lavait encore le linge au début du XIXe siècle.
Tout d'abord, cette opération n'était pas fréquente. Les draps et les gros vêtements de travail pouvaient fort bien n'être lavés que deux fois par an lors de la « grande lessive », les autres pièces de linge, au mieux toutes les semaines.
L'essentiel du travail, exclusivement féminin, se déroulait à la maison ou dans la cour de la ferme. Le linge sale était disposé bien à plat dans un grand baquet de bois au fond duquel une bonde que l'on pouvait déboucher permettait à l'eau de s'écouler. Il séjournait d'abord toute une journée dans ce baquet rempli d'eau tiède.
Le jour suivant, après avoir vidé cette première eau, on tendait au-dessus du linge une grosse toile de lin. Sur ce tamis rudimentaire, on étalait une couche de cendres soigneusement réduites en poudre et provenant de bûches de chêne ou de fougères sèches que l'on avait brûlées. Cette cendre riche en carbonate de potassium, était connue depuis l'Antiquité pour son pouvoir nettoyant. On versait ensuite doucement sur cette couche des casseroles d'eau chaude mais non bouillante afin de ne pas cuire les taches et on laissait tremper le linge dans cette infusion XXL jusqu'au lendemain.
Ce n'est que le troisième jour que l'on transportait à la rivière ou au lavoir, dans des paniers ou dans une brouette, le contenu du baquet. C'est là que, dans l'eau claire, chaque pièce de linge était rincée, battue, et rincée encore puis essorée et ramenée à la maison pour le séchage sur l'herbe, sur la haie ou à cheval sur une une cordelette.
Lavandière1 à la rivière, dans sa caisse à laver (détail).
Signature illisible, école de Barbizon. © coll.particulière
Et le savon, direz-vous ?
C'est simple, jusqu'au milieu du XIXe siècle environ, il n'y avait pas de savon !
Ou plutôt il était trop cher et la majorité de la population ne pouvait pas se l'offrir.
Inventée en 1856, la lessiveuse métallique remplaça peu à peu le baquet de bois, et, le prix du savon devenant abordable, les lessives furent plus fréquentes. On aménagea alors les lavoirs publics afin qu'ils ne servent pas seulement au seul rinçage. Le fond du bassin fut dallé, les côtés furent parfois dotés de banquettes pour y déposer le linge, le sol du pourtour cimenté afin que les lavandières puissent poser sur un terrain plat et sec, et non plus dans la boue, la caisse à laver dans laquelle elles étaient agenouillées pour savonner et battre le linge. En ville, il arrivait même que le lavoir reçoive une toiture pour protéger les occupantes des intempéries.
Au lavoir du Vaéré, à Plougonvelin, une caisse à laver et un battoir
Affluence au Grand Lavoir de St-Renan situé en bas de ville
Le journal parlé du quartier
Le rôle social du lavoir était primordial. C'est là que les copines se retrouvaient, chacune ayant sa place bien précise, sous l'autorité de la doyenne. On riait, on papotait, et il est évident que les commérages allaient bon train2. Mais pas plus qu'aujourd'hui sans doute, car la nature humaine est restée la même et il ne faut pas oublier que ce sont en général les hommes qui ont répandu cette idée. Les femmes qui ne pouvaient pas faire garder leurs enfants en bas âge les amenaient au lavoir. Toute présence d'un adulte masculin était interdite et en cas d'infraction l'homme était parfois assailli et jeté à l'eau sans ménagement sous les risées et les moqueries de tout le groupe. Dès lors on comprend combien il était important que la corvée de lessive soit ainsi rendue plus supportable grâce à une ambiance enjouée aussi agréable que possible.
C'est ce rôle social qui donne au lavoir toute son importance. Il est d'ailleurs probable que les premières prises de conscience des injustices engendrées par la difficile condition féminine de l'époque s'y soient développées.
Si cet élément de notre patrimoine n'est plus aujourd'hui qu'un bassin où apparaissent parfois les yeux globuleux d'une grenouille figée entre les lentilles d'eau, il faut imaginer qu'il fut autrefois un lieu de rencontre animé et bruyant, presque festif, où se retrouvaient régulièrement les habitantes. Le lavoir représente tout un pan de notre mémoire populaire. C'est à ce titre qu'il doit être respecté, entretenu et sauvegardé.
Réhabiliter les lavoirs
Par un louable souci de redonner à ces vestiges leur aspect d'autrefois, on est tenté d'en faire de simples structures minérales propres et nettes comme elles l'étaient sans doute à l'époque de leur utilisation.
Mais les temps ont changé et les lavoirs ne retrouveront plus jamais leur importance passée. Plutôt que d'en faire de rutilantes pièces de musée attendant éternellement leurs lavandières disparues, il est préférable de les mettre en valeur dans un environnement accueillant que l'on respectera. L'exemple du lavoir de Kervouroc, au Conquet, comme celui du Vern à Lanildut montrent à quel point aujourd'hui le milieu végétal est important. Si quelques herbes envahissent modérément un lavoir, si des lentilles d'eau couvrent en partie son bassin, le visiteur comprend qu'elles traduisent son ancienneté. Si une pelouse, des fleurs et de grands arbres l'entourent, il tombe sous le charme d'un endroit à la fois pittoresque et harmonieux. Et l'on n'a jamais envie que ce que l'on aime disparaisse.
La préservation du patrimoine passe aussi par l'émotion qu'il suscite.
Yannick Loukianoff
-1- En principe, le mot « lavandière » désigne plutôt une femme faisant son métier de laver le linge d'autrui. C'est le mot « laveuse » que l'on employait autrefois, mais avec le développement industriel, ce terme a ensuite désigné une machine.
-2- Voir plus haut la chanson de Théodore Botrel ( 1868-1925 )
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