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La monnaie d'or dite de Pythéas



   Comme il est arrivé bien souvent, le patrimoine du Pays d'Iroise ne se trouve pas intégralement dans sa région d'origine. Il faut parfois parcourir des dizaines, voire des centaines de kilomètres pour découvrir l'un de ses éléments. Au fil des années, des objets ont en effet été déménagés pour être, par exemple, retenus dans des collections particulières lointaines ou exposés dans des musées. Sans compter les vols, comme celui de la Vierge à la figue disparue de la chapelle N.D. du Val à Trébabu en 1977 et retrouvée en Provence 28 ans plus tard, ou celui du cadran solaire de l'église de Tréouergat que l'on recherche toujours.

A Rennes, on peut admirer au Musée de Bretagne une pièce de monnaie très ancienne, puisqu'elle remonte au 4e siècle avant notre ère. Sa découverte date de 1959 et ses tribulations, que nous vous racontons ici, ne sont vraiment pas banales.

Si vous n'avez pas le temps de lire toute cette page, vous pouvez peut-être en écouter un résumé : branchez le son et retrouvez ici l'histoire du statère d'or de Pythéas ainsi que bien d'autres éléments de notre patrimoine sur le site internet
'Voix du Patrimoine'.



LA  DÉCOUVERTE




   Cette année-là, un officier de Marine brestois en retraite était parti à la chasse sur la côte de Lampaul-Ploudalmézeau. Parvenu sur la plage, il fut surpris par la quantité d'algues que la mer avait entassées en certains endroits.



Une récente tempête avait accumulé là une épaisseur d'environ un mètre de laminaires qui commençaient à pourrir. Le marin en emplit quelques sacs afin de les répandre comme engrais dans son jardin de Brest.
Quelques semaines plus tard, les algues s'étant partiellement décomposées, il aperçut parmi ses salades un objet qui brillait.
Coincée entre les épais crampons d'une laminaire rugueuse, une belle monnaie en or resplendissait au soleil.


Photo YL : reconstitution


Un vigoureux brossage sous le robinet vint à bout des débris d'algue qui s'y étaient incrustés, ce qui prouvait que la pièce d'or avait bien été apportée par la mer et non perdue par un promeneur. L'officier en conclut logiquement qu'elle provenait du naufrage d'un navire non loin de Lampaul-Ploudalmézeau1.
Sur l'une de ses faces, la monnaie représentait un personnage ailé debout sur un char tiré par quatre chevaux surmontés d'une inscription quasi illisible.



Sur l'autre face, un personnage couronné, à demi nu, tenait une sorte de lance le long de laquelle figurait une autre inscription.



   A n'en pas douter, il s'agissait d'une monnaie antique. Pour en savoir plus, il fallait donc la faire expertiser.

   En février 1960, le marin s'adressa à la Faculté des Lettres de Rennes et prit contact avec Pierre-Roland Giot, directeur de la circonscription des Antiquités préhistoriques. Celui-ci confia l'objet pour identification à Jean-Baptiste Colbert de Beaulieu, savant numismate, qui reconnut sans peine un statère originaire de la colonie grecque de Cyrène, en Libye actuelle, et frappée quelques années seulement après la mort d'Alexandre le Grand, entre 322 et 313 avant JC. Au droit, était représenté un quadrige mené par la déesse ailée Niké ( la Victoire de Samothrace ) et le nom en grec des Cyrénéens. Au revers, Zeus de Cyrène ( Zeus-Ammon ) faisant une libation à l'aide d'une phiale et s'appuyant sur un sceptre. On y lisait le nom de Polianthès, magistrat monétaire de Cyrène en -322. La monnaie d'or pur, à peu près ronde, avait un diamètre d'environ 2 cm. Elle pesait 8,54 grammes et faisait partie d'une série bien connue des collectionneurs.
Jean Bousquet, nouveau directeur de la circonscription des Antiquités historiques de Bretagne-Pays de la Loire en négocia l'acquisition et le Laboratoire d'Archéologie de la Faculté des Lettres de Rennes en devint légalement propriétaire.
Le statère, ainsi scrupuleusement étudié, fit l'objet de plusieurs publications2 dans la presse spécialisée car il revêtait une importance très particulière.
En effet, d'emblée, les archéologues soupçonnèrent qu'il avait pu appartenir à l'expédition de Pythéas3, le hardi navigateur marseillais dont les écrits avaient disparu et que les historiens latins avaient considéré comme un affabulateur.
Bien qu'elle ne puisse en constituer une preuve formelle, la découverte rendait donc cette expédition antique très vraisemblable et réhabilitait le navigateur.

La monnaie d'or fut donc conservée à Rennes et, pendant une cinquantaine d'années, elle fut totalement oubliée. Les protagonistes de sa découverte disparurent les uns après les autres. Les publications subsistaient, mais au Laboratoire d'Archéologie plus personne ne savait où cet élément important de notre patrimoine avait été entreposé.

Mystère...

Le statère d'or dit de Pythéas avait disparu comme ses découvreurs, et sa belle histoire semblait s'arrêter là...


LA  REDÉCOUVERTE

   En 2015, un professeur en retraite dans une petite commune du nord de Rennes, fervent numismate et au courant de la disparition du statère, fut stupéfait d'en découvrir la description dans le catalogue d'une vente aux enchères.
Pas de doute, la monnaie qui y figurait en photo correspondait en tous points au statère de Pythéas. Celui-ci n'était donc plus dans les locaux de la Faculté, mais faisait maintenant partie d'une collection privée !

Et la vente devait avoir lieu deux jours plus tard !

   Sans plus attendre, l'enseignant alerta le Musée de Bretagne. Sous la conduite de son Conservateur du Patrimoine chargé de la numismatique, le Service Régional de l'Archéologie obtint in extremis que la monnaie de Cyrène soit retirée de la vente et confiée à ce musée.

La monnaie d'or dite de Pythéas était sauvée une seconde fois.

Elle est aujourd'hui présentée au public dans une vitrine qui lui est spécialement consacrée. Les collections du musée étant inaliénables, on ne peut que lui souhaiter de satisfaire longtemps la curiosité des visiteurs.


Au Musée de Bretagne : La vitrine du statère d'or
et Jean-Louis Aicard, le numismate qui l'a sauvé une seconde fois

Photo Ouest-France 21 juin 2015


1- Plutôt que d'imaginer un naufrage, il est plus simple de penser qu'une bourse ou un petit coffre de pièces d'or ait pu tomber à l'eau lors d'un transbordement sur un canot afin d'acheter à terre de la nourriture ou de l'étain auprès des populations locales.

2- Voir l'article de P.R. Giot et J.B. Colbert de Beaulieu paru en 1961 dans le Bulletin de la Société Préhistorique de France, le rapport de Jean Bousquet publié la même année dans les Annales de Bretagne, et le compte rendu effectué par le même auteur au cours de la séance du 14 octobre 1960 de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres.

3- Pour compléter ce récit, voir la page de ce site intitulée Pythéas le Massaliote, écrite par Georges Tanneau.



Yannick Loukianoff

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